La cuisine passe par là

Trois questions à... Axel Hernandez de la Cuisine itinérante

Publié sur le site http://www.rhone-solidaires.org

3 questions sur la question des conditions de travail et la transmission d’expérience dans l’alimentation alternative à Axel Hernandez. Il est co-fondateur de la SCOP De l’Autre Côté du Pont et aujourd’hui de la Cuisine itinérante, un traiteur éco-responsable à Lyon offrant une restauration à base de produits locaux, bio, équitable et de saison.

Rhône-Solidaires : Bonjour Axel, est-ce que tu peux nous présenter ce qui t’a amené à te mobiliser sur la question des conditions de travail dans l’alimentation durable ?

A. Hernandez : Bonjour ! Je suis un des trois membres fondateurs de la coopérative de l’Autre CôTé du Pont, et je me suis retrouvé au bout de 6/7 ans avec les deux autres créateurs face à cette question : qu’est-ce qu’on peut espérer en termes de développement de l’entreprise, de la mise en place d’une politique salariale, et si oui, avec quelles conséquences pour l’entreprises ?
On n’a pas su y répondre parce qu’on n’avait pas pensé cette entreprise comme ça. On l’avait pensée comme une initiative sociale, pour changer le monde, pas comme un espace où on y serait nous-mêmes bien, ce qui est pourtant important. Et aujourd’hui, peu de réponses existent pour faire évoluer l’ESS vers des structurations durables pour les salariés et les entreprises, sans retomber dans les travers de l’économie classique…

On comprend qu’il y a un souci de penser un modèle « équilibriste » qui mettrait l’argent au service d’une cause, mais n’en ferait pas un tabou… Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

On travaille aujourd’hui avec la Cuisine Itinérante à trouver une nouvelle structuration d’entreprise qui ferait le lien entre les leçons et la cause de l’Autre CôTé du Pont et un moyen de mettre sur un pied d’égalité nos contraintes sociales et nos idéaux de changer le monde. Et ne pas avoir peur de dire que même dans l’ESS, on peut ne pas être heureux ! On peut travailler dessus, mais pour ça il faut le reconnaître. Si nous on ne le fait pas dans l’ESS, les grandes entreprises l’auront fait dans 5 ans, et dans de conditions moins agréables…
C’est dommage qu’aujourd’hui, à 35 ans, on se retrouve face à continuer et renoncer à un niveau de vie décent ou partir pour s’ouvrir des perspectives. Parce que ça n’a pas été prévu au début. Et c’est inutile que les nouveaux reproduisent cette absence de réflexion dès le début aujourd’hui.
Il en faut pas avoir peur de l’argent : c’est un moyen qu’on peut utiliser, y compris dans l’ESS. Et l’important c’est d’être heureux de travailler là où on est, et l’argent peut aider à ça si c’est anticipé. Et cela évitera de devoir aller dans l’économie classique pour espérer trouver un niveau de vie décent.

Il y a donc un enjeu de capitalisation sur les erreurs passées pour les nouveaux acteurs ?

L’idée serait de mettre au même niveau nos idéaux d’économie sociale avec nos conditions de travail. Parce qu’aujourd’hui, et en prenant l’exemple de l’alternative alimentaire, je me rends compte que beaucoup de gens ont de très belles idées, ils sont jeunes, ils sont à fond, mais ils ont un énorme problème de compétences et ils ne se rendent pas forcément compte du travail que ça va demander. Ils travaillent 50/70h par semaine, pour défendre la cause, mais ne se rendent pas compte des implications en termes de conditions de travail et de conséquences pour leurs entreprises.

L’économie de l’alimentation alternative se développe de plus en plus à Lyon : et le problème c’est que les nouveaux qui se lancent, dans les mêmes conditions que certaines il y a 10 ans, n’ont eux plus l’excuse de défricher un secteur. Et aujourd’hui cela dessert, d’une certaine manière, l’alimentation alternative, auprès des entreprises, des collectivités, qui commencent à avoir l’habitude de travailler avec des acteurs de l’alimentation alternative mais se retrouvent face à des débutants. Il est temps pour ce secteur de devenir adulte !

On a des exemples à Lyon un peu anciens : l’épicerie de l’Autre CôTé de la Rue, le bar du Court-Circuit… Et avec le bar de l’Autre CôTé du Pont, on est un peu plus vieux : on est passé par ses périodes difficiles — problèmes de gouvernance (prise de becs, difficultés de gestion, …), de finances, pas de vacances, … Et c’est dommage de ne pas réussir à tirer des leçons pour les autres de ses expériences : les nouveaux se retrouvent face aux mêmes difficultés !
Il manque de personnes, de ressources pour transmettre ces informations, ces expériences, aux nouveaux qui se lancent.